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mardi 5 mai 2015

Béziers. L'extrême droite organise le repérage des (petits) musulmans ! Point de vue : et la laïcité dans tout cela ?


« Je sais que je n'ai pas le droit, mais on le fait. »


Robert Ménard, le maire de Béziers (proche du Front national), a révélé, lundi 4 mai, l'existence d'un fichier recensant les enfants supposés musulmans de sa ville. Lors d'un débat de l'émission « Mots croisés » (à partir de 1 h 23 min) sur France 2 consacré aux querelles au sein du FN, le maire de Béziers, a donné des pourcentages d'enfants de confession musulmane dans les écoles de sa ville.
« Robert Ménard dit qu'il y a 64,6 % d'enfants de confession musulmane à Béziers. Mais il les tient d'où, ces statistiques ? », s'était auparavant interrogé sur Twitter un téléspectateur, dont les propos ont été repris par l'un des chroniqueurs de l'émission. Cliquer ici


Point de vue : et la laïcité dans tout cela ?

Certains seront encore étonnés, dans cette nouvelle ménarderie, de ce que l'extrême droite est capable de faire dans son art consommé de construire des discriminations. Y compris en transgressant la loi ! Précisons, tout de même, d'emblée, qu'il s'agit pour elle de construire sur du déjà construit/déconstruit. Et par d'autres qu'elle... En effet cette illégale façon de ficher les enfants dits de musulmans, reconnaissables, dit l'abject, à leur prénom, ne naît pas ex nihilo. Elle radicalise hors la loi ce que déjà la loi a posé comme règle laïque, de cette laïcité qui s'échafaude d'une manière toute particulière, contraire à ce que la laïcité de 1905 a énoncé (la liberté de conscience individuelle et collective comme corollaire nécessaire de la neutralité de l'Etat) ! Ce n'est d'ailleurs pas pour rien qu'un Ménard travaille sur le terrain laïque par antonomase qu'est l'école, lequel terrain a vu poser en son sein l'incroyable balise antilaïque de l'interdiction des signes religieux de 2004. A Béziers, c'est en effet par les listes d'élèves établie à partir des données scolaires auxquelles ont accès les mairies, qu'il travaille à "identifier" les musulmans de sa ville. Avec tous les glissements qu'autorise la "nouvelle laïcité", justement identitaire, mais qui n'est pas seulement celle des Identitaires ménardiens. Des chevènementistes et toute la gamme des républicains érigeant la laïcité en "religion civile" où s'essaie la capture des thèmes féministes, bref une certaine gauche communie à greffer, depuis déjà des années, sur le tronc laïque historique, des marqueurs inscrivant dans les esprits le fantasme de "la menace islamiste". La menace contre quoi au juste ? Contre une identité républicaine, elle-même fantasmée comme rempart contre les inégalités, supposées inscrites par essence (cette laïcité est fixiste et ahistorique), dans l'islam (accessoirement, seulement accessoirement, dans les autres religions).

Disons-le, et évidemment cela déplaira chez une gauche qui se croit encore de gauche dans le déni qu' elle n'est que débordée par l'extrême droite sur le territoire pseudolaïque qu'elle a restructuré au "choc des civilisations" version républicaine, les agissements hors la loi de Ménard ne sont possibles et impactants largement autour de lui que par l'acclimatation des esprits que la loi de 2004 a créée : acclimatation à voir, par réflexe, par principe, par essence, en tout musulman (ou apparenté), un islamiste, hier à la Taliban ou Ben Laden, aujourd'hui - le danger se rapproche - à la Kouachi... En somme, l'illégalité du fichage avoué par Ménard des petits musulmans est en ligne directe, ou à peine dérivée, du centre irradiant qu'est la loi de 2004 sur les signes religieux à l'école : Ménard s'inscrit à sa façon, toute prévisible, dans l'esprit d'un 11 janvier que certains naïfs ont cru pouvoir constituer en un antidote généreux aux ostracismes islamophobes qui travaillent au corps notre société. Là aussi, il n'y a nul hasard à constater que la dynamique profonde de la mystificatrice union nationale issue du 11 janvier fasse coïncider la "sortie" du facho de Béziers avec le surgissement actuel de toute cette traque à l'école, eh oui, des filles portant, disent-ils/elles, la "jupe islamique", "donc" faisant oeuvre prosélytique islamiste ! Syndrome de l'Eurabie activé, on le voit bien, hors des terres de l'extrême droite. Avec pour ciblage privilégié et réitéré, des femmes, dès leur jeune âge. Mêlées, dans leur infortune ménardienne, à leurs petits frères, les écolières biterroises suspectées d'islamité ne perdent rien pour attendre avec le sort qui leur sera spécifiquement assigné dès le collège autour de la "question du voile" et désormais celle de la jupe ! Méchant condensé des apories d'une gauche féministe à la dérive...

C'est cette connexion du ménardisme, du frontisme national, avec ce qui, par la loi scolaire infâme de 2004 et ce qu'elle propage de proche en proche comme menaces (interdiction du "voile" à l'université, dans "l'espace public", dans l'entreprise, dans les services de garde de la petite enfance...), qui "embarque" ("embed"), cap sur les discriminations à la pelle, des gens de gauche, des démocrates et des républicains, et rend vains leurs appels incantatoires, le diabolisant au fond apolitiquement, à combattre Ménard. Ce couteau antiraciste a, au mieux, perdu son manche (au pire il coupe, tranche et transperce lui aussi !), celui de Ménard est complet, aiguisé et opérationnel qui radicalise le laïcisme identitaire promu par cette gauche-là, en connivence avec presque toute la droite. Le maire facho se trouve ainsi immunisé idéologiquement dans la plénitude d'une impunité politique qu'une éventuelle condamnation judiciaire ne fera qu'égratigner. Il faut le répéter, la ménardisation des esprits, avatar pittoresque de la lepénisation des esprits, c'est avant tout le fruit pourri de la débâcle de la gauche qui ne peut plus rompre avec une laïcité trafiquée au racisme (désormais affiché culturel car "plus respectable" !), servant de diversion et aidant à neutraliser, par là, l'unification pourtant indispensable des résistances à l'ordre néo-libéral capitaliste. Il y a, dans la communion gauche-droite (de droite et extrême) autour de certaines valeurs (sic) supposées, par imposture, laïques, l'expression paradigmatique du basculement social (?)-libéral de la première. La "nouvelle laïcité" signe, en fait, de façon éclatante ce virage sans retour... de ceux-celles qui, peu ou prou, taiseux/-ses ou babillant-es, se reconnaissent en Hollande, Valls, etc.

En Ménard, comme en Marine Le Pen, s'arme en fait la redoutable mécanique de désarmement de l'alternative, par rupture, au capitalisme. Celui-ci secrète, au paradoxe assumé structurellement, sa double nécessité : la nécessité économique et sociale, pour le capital, de l'immigration et la nécessité politique que celle-ci soit diabolisée. Diviser pour que règne mieux le fétichisme de la marchandise... Rien de neuf, en l'inédit de cette mondialisation, sous le soleil noir des dominations.

Ménard et Le Pen ne pourront être vaincus que par un ressourcement laïque à l'esprit de 1905, avec toutes les adaptations que l'on voudra en fonction des nouvelles problématiques (débat sur la procréation médicalement assistée, fin de vie, etc.), ressourcement réaffirmant, par un plein ancrage du côté des salariés et des populations opprimées et exploitées, ce que ne peut plus faire laïquement la nouvelle bourgeoisie, en rupture d'héritage avec Jules Ferry et compagnie (qu'au demeurant on n'a pas à idéaliser, c'est le moins que l'on peut dire si on pense à leur colonialisme républicain... si peu laïque). Cette laïcité, il faudra bien en débattre, doit elle-même se ressourcer à l'anticapitalisme ! Mais, reconnaissons-le, il se trouve qu'une bonne part des anticapitalistes, eux-mêmes, sont prisonniers de l'escroquerie idéologique du moment qui leur fait voir, réflexe essentialiste aussi, la laïcité soit comme suspecte car bourgeoise (!), soit, au contraire, acceptable en l'état de sa dénaturation, car foncièrement féministe ! Ce brouillage des anticapitalistes sur la laïcité n'est pas pour rien (euphémisme) dans leur crise actuelle (voir le "refoulé avignonnais" du NPA) qui se concrétise, en particulier, par leur échec à se construire dans le lieu qui condense une des explosivités sociales majeures, les "quartiers" (1) !

Antoine 

(1) Et cela, malgré une insertion remarquable, en tout cas pour le NPA, comme on l'a constaté pendant l'été 2014, dans les campagnes radicales, sur le mode BDS, de soutien à la Palestine. Un sujet qui mobilise particulièrement lesdits "quartiers".