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vendredi 26 avril 2013

Mélenchon premier ministre de Hollande, une «simple» boutade ?

NPA 34, NPA

Par Antoine (Comité PIc St-Loup)
Mélenchon veut être premier ministre de Hollande ou tout simplement ministre dans un gouvernement mené par Arnaud Montebourg. J'ai dit ce que je pensais d'une telle apparente incongruité dans mon billet Il faut que Hollande vous nomme premier ministre ? Mélenchon : « oui, bien sûr, c'est le but...Il peut me nommer premier ministre»... en montrant que nous avions là la "trace" d'un positionnement politique lourd d'implication. On m'objecte de-ci de-là qu'il ne faut pas prendre ces mélenchonneries pour plus que cela, des mélenchonneries. Une sorte de légèreté ironique venant compenser une structuration psychopolitique du personnage bien connue pour sa raideur conceptuelle et sa dynamique brutalisante.


Je reconnais qu'il n'est pas facile de soupeser les diverses implications signifiantes des discours et des actes des hommes/des femmes politiques. Il n'en reste pas moins que le croisement de plusieurs données me confirme que, chez Jean-Luc Mélenchon, les propos en jeu ici participent d'une véritable trame stratégique : outre mes références à la longue pratique militante du personnage, à l'intérieur du PS, fondée sur la recherche des alliances les plus renversantes et les plus inversées (y compris avec Rocard !) pour "tirer le PS à gauche", sans même parler d'une participation acritique au désastre du gouvernement Jospin, il y a ces "sorties" dans le cadre de la présidentielle de l'an passé, donc après la supposée conversion du bonhomme à la radicalité antilibérale, pour se gagner Montebourg ou Chevènement (et même le sulfureux Vergès de la Réunion). Retrouver aujourd'hui le lâcheur Montebourg, après qu'il a retourné sa veste radicalement démondialisatrice de la primaire pour soutenir celui qu'il semblait rejeter absolument, après qu'il est devenu un de ses principaux ministres et a couvert ses reniements (quoi qu'il lui en ait coûté : cf Florange), est assez lourd de signification sur une constance, certes le plus souvent maintenue souterraine, à garder le contact avec le PS. En disant "souterraine" je veux mettre en évidence qu'il y a bien un jeu à deux tons, à deux temps, dans le mélenchonisme : ceux de la radicalité tribunitienne, pugnace (capitaine de pédalo, Hollandréou, le bruit et la fureur), ceux donc qui permettent de se gagner le bon peuple dans la rue et d'en faire le bélier permettant d'enfoncer...non point l'ennemi social-traître, mais ... l'allié de toujours : celui qui, malgré toutes ses turpitudes - et avec le hollandisme il y a surdose - reste l'incontournable partenaire (deuxième ton, deuxième temps), dans au moins sa fraction de gauche, pour gouverner. Dans ces deux tons-deux temps, il y a la mise en place d'une paradoxale brutalisation de l'allié à venir, à se gagner, qui prétend fonder une rupture politique "incroyable" : par la mobilisation citoyenne, celle du peuple de la "prise de la Bastille", Jean-Luc Mélenchon monte en effet à l'assaut de la citadelle socialiste mais ...ne guillotine pas Hollande ! Non, il lui impose de mélenchoniser, de front-de-gauchiser en lui laissant être le président social-libéral en place !
Il se trouve pourtant que le piège est en train de se refermer sur notre homme car précisément le bélier, celui de la dynamique populaire de la présidentielle, s'est essoufflé. Le Front de Gauche peut réunir encore du monde mais rien qui puisse signer l'affirmation d'une force politique permettant d'ébranler le système très Ve République dans lequel s'est promptement lové, tout mitterrandiennement, François Hollande. Est-il incongru de rappeler ici que François Mitterrand constitue un fort "point de convergence" entre l'actuel président de la République et celui qui voudrait se donner à voir comme son principal opposant tout en gouvernant "sous lui" ? On notera à ce propos cet autre paradoxe, si l'on prend les mots au mot : l'opposition mélenchonienne à Hollande se résoudrait dans la proposition d'être son premier ministre. A moins que ce ne soit l'inverse :  l'accession au premier-ministériat de Hollande serait l'expression de la radicale opposition mélenchonienne à celui-ci !
Mais revenons au piège de ce bélier citoyen qui, à l'évidence, s'émousse et permet à François Hollande, pas plus tard qu'hier, d'infliger un terrible camouflet au Front de Gauche en reniant la promesse qu'il lui avait faite de soutenir une "amnistie sociale". Convenons qu'après l'offre de service faite (être son premier ministre) par Mélenchon, il y a dans ce désinvolte reniement, le signe clair que François Hollande ne prend pas au sérieux les moulinets radicaux du leader du Front de Gauche et la supposée dynamique citoyenne qui le porterait encore jusqu'à pouvoir imposer sa place dans le gouvernement. Nous avons peut-être même le signe d'une inversion : le gouvernement et le PS, non seulement n'ont que faire d'une brutalisation mélenchonienne qui joue à vide (les députés du Front de Gauche maintiennent après la gifle sur l'amnistie sociale, qu'ils participent toujours de la majorité parlementaire (1) !), mais ils pourraient bien prendre désormais l'initiative d'une politique, sinon de brutalisation, du moins de domestication de la fureur mélenchonienne. Je pense ici à l'avertissement donné, sans plus de suite immédiate, à Pierre Laurent par Jean-Marc Ayrault lors de certains votes en abstention ou contre des députés du PC : attention, le PS saura s'en souvenir lors de la préparation des listes aux municipales. Nous savons qu'il y a ici un vrai point sensible de ce qui est tout de même un des marqueurs du Front de gauche, certes mis en sourdine pour cause d'affichage de radicalité : l'alliance avec le PS est déjà là dans les municipalités et les régions !
En fait le piège qui rend bancale la position de Jean-Luc Mélenchon c'est que, par un effet pervers de l'électoralisme du Front de Gauche, la mobilisation citoyenne se trouve privée jusqu'en 2014 de toute occasion de s'affirmer : et comme il n'est pas question, qu'il est même impensable, pour cette coalition, de bousculer l'échéancier électoral (tant pis pour les souffrances sociales qui s'accumulent), comme il n'est pas question de peser sur la situation sociale en mobilisant les équipes militantes dans les syndicats et les lieux de travail en faveur de la généralisation des luttes (le Front de Gauche laisse le champ libre aux bureaucraties syndicales qui n'ont de cesse de lever les obstacles à la convergence des secteurs en lutte : cf la récente démission du responsable national de la CFDT Sanofi), le roi iconoclaste Mélenchon est nu. Il ne lui reste qu'à mendier son entrée au gouvernement tout en continuant à faire dans la rodomontade : si j'y vais ce sera pour appliquer le programme du Front de Gauche. Vraiment de quoi faire vaciller d'effroi François Hollande!
Bref, la candidature à être premier ministre ou ministre de Hollande devient le signe d'une impuissance stratégique : la machine de la mobilisation citoyenne en s'articulant au refus de vertébrer un front d'opposition politique et sociale sans équivoque, battant le rappel de toutes les forces à la gauche du PS pour faire plier la contre-révolution social-libérale, tourne à vide. Le torrent mélenchonien tempétueux fustigeant Hollandréou et son pédalo se dilue dans la piètre démarche pour prendre pied sur ledit pédalo en prétendant que celui-ci fera office de caravelle mettant les voiles (!) vers l'eldorado de la révolution citoyenne. Avec Hollande et Montebourg sur le pont s'éblouissant à la manoeuvre mélenchonesque! Tel est le prix à payer pour le refus de combiner deux données politiques essentielles : l'investissement sans réserve dans la construction, à partir des secteurs en lutte (PSA, Sanofi, Fralib...), d'une dynamique sociale d'opposition au système et, par là-même, l'assomption de la rupture totale avec cette pièce maîtresse dudit système qu'est le PS, l'affirmation de la volonté de s'opposer frontalement à lui. Il s'agit là bien entendu d'une option radicale que...la radicalité du Front de gauche refuse : celui-ci est trop rattaché, par l'histoire de ses composantes essentielles (les appareils du PC et du PG), au système qu'il prétend combattre mais dont tout montre qu'il veut seulement "l'humaniser d'abord". Ce qui est, dans la crise actuelle, une funeste quadrature du cercle !
Ayons une pensée attristée pour les anticapitalistes (GU, CetA, GA, Fase...) entrés au Front de gauche pour participer d'une radicalité qu'ils ont visiblement surestimée (en sous-estimant corrélativement le poids des appareils) : les ouvertures politiciennes faites par Jean-Luc Mélenchon à Hollande et à Montebourg sont tout simplement passées sous silence par les directions de ces groupes ou, quand la question leur est posée, réduites à "une simple boutade", comme a pu dire le responsable héraultais de Gauche Anticapitaliste David Hermet (voir ici). Malheureusement pour lui et ses camarades, ce jeu primaire et superficiel du déni vient buter sur le sérieux avec lequel, aujourd'hui même, un des proches de Jean-Luc Mélenchon, donc bien placé, dans le premier cercle, pour dire le sens des mots, vient rappeler que "Quand Jean-Luc Mélenchon propose sa candidature au poste de Premier ministre, ce n’est pas pour faire échouer la gauche, mais précisément pour qu’elle réussisse." (Front de Gauche : "C'est le Parti socialiste qui divise la gauche"). Car il s'agit de cela : de faire réussir LA gauche, ce machin dans lequel se retrouvent, ou devraient se retrouver, devront se retrouver, le Front de Gauche ET le PS !
Tout ceci est bien désolant, voire assez pitoyable, car c'est la résistance au capitalisme qui s'en trouve handicapée : pendant que Hollande s'applique bovinement à s'aligner sur le Medef comme l'atteste son matraquage sur l'ANI (et la nouvelle humiliation induite du Front de Gauche), pendant que la droite se refait une santé, aux côtés de l'extrême droite, via une homophobie échevelée, nous assistons à des singeries politiciennes qui se voudraient le nec plus ultra d'une "autre politique". Pour sortir de ces pantalonnades, il faut être présent le 5 mai, non pour répondre à un appel de Mélenchon qui, sous le clinquant de la VIe République, charrie trop de scories politicardes rappelant parfois ...la IVe République ! Non, le 5 il faut battre le rappel de l'alternative anticapitaliste, en faveur d'une authentique sortie de la Ve République, c'est-à-dire, en faveur d'une "démocratie réelle", indignée, à inventer, politique et incontournablement sociale, qui casse les délégations de pouvoir aux professionnels de la politique et favorise l'irruption du peuple sur un terrain qui lui est jusqu'ici barré (lire ici). Tout ceci ne peut certes pas être la bataille d'un jour mais certainement un jour décisif de la préparation de cette bataille !
(1) "Pas question pour autant de parler de "rupture" avec les socialistes. "Nous sommes dans la majorité parlementaire, pas dans l'opposition", a assuré Mme Assassi.[PCF]" (Amnistie sociale : la colère du Front de gauche)