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samedi 20 juillet 2013

Que dévoilent les agressions de femmes voilées ?
(Féministes en tous genres, NouvelObs 18 juillet 2013)


Le silence d'une République dévoilée 

Voici un article de Jean-François Brault qui, initialement intitulé « Le silence d'une République dévoilée », s'est transformé en un quasi-entretien entre lui et moi. Les sous-titres sont de lui. 
S. Duverger

Jean-François Brault mène actuellement un travail de recherche sur les minorités sexuelles musulmanes dans la France contemporaine, sous la direction d'Eric Fassin, à l'université Paris 8 - Vincennes-Saint-Denis.
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« Une loi ne pourra jamais obliger un homme à m'aimer mais il est important qu'elle lui interdise de me lyncher ». 

Martin Luther King, Extrait du Wall Street Journal, 1962. 

Des « attaques répétées contre les musulmanes de France » [1]+


Le 8 juillet 2012, Cindy Leoni, présidente de SOS Racisme, manifestait son inquiétude face à l'indifférence médiatique, politique et citoyenne que les agressions, aussi bien verbales que physiques, commises contre des citoyenNEs françaisEs d'origine maghrébine, pouvaient susciter : « Ecoutez, si on prend l'exemple d’Aigues-Mortes ; un groupe de jeunes d'origine maghrébine est la cible d'un couple qui profère des injures à caractère raciste et qui leur tire dessus avec un fusil. Le fait que ça ne soulève pas un soulèvement républicain dans la foulée, oui ça m'interpelle et ça m'interroge. » [2].


20 mai 2013 : Rabia, 17 ans, habitante d'Argenteuil, est agressée par plusieurs hommes. Un passant, témoin de la scène, permet à la jeune fille de prendre la fuite.


9 juin 2013 : à Reims, une femme est insultée et menacée d'agression par un mineur alors qu'elle est en voiture avec son mari.


13 juin 2013 : Leïla, 21 ans, habitante d'Argenteuil, est violentée par plusieurs hommes. A la suite de cette agression, la jeune femme, enceinte, fait une fausse couche. 


14 juin 2013 : près d'Orléans, trois femmes, de trois générations différentes – la mère, la fille et la grand-mère - qui circulent en voiture sont insultées par un homme ; au feu rouge, il tire les cheveux de la conductrice, la contraignant à sortir de sa voiture, puis il la frappe ainsi que sa fille et sa mère, lorsqu’elles s’interposent.


22 juin 2013 : à 15 heures, devant la sous-préfecture d'Argenteuil, est organisé un rassemblement qui vise à dénoncer la série d'agressions commises entre mai et juin contre des citoyennes françaises musulmanes [voilées] et à encourager les autorités publiques à arrêter les coupables.


30 juin 2013 : Lamia, auxiliaire de vie, dans un bus parisien cède sa place à une femme âgée, qui l'invective. Un peu plus tard, un homme frappe Lamia, qui a fini par répondre aux insultes de la femme âgée. C'est Lamia que la police arrête, et non pas son agresseur.


Sur les sources des informations précédentes, cliquer ici.


S. Duverger : et il y a eu ces derniers jours de nouvelles agressions, rapportées par LibérationLe Parisien20 minutes Oumma.comTerrafeminaLe Point, Le Monde…

Le 2 juillet, à Reims, deux femmes voilées ont été insultées et menacées de mort.

Le 12 juillet, à Reims encore, une jeune femme voilée a porté plainte après avoir été frappée au visage et blessée par un homme qui, auparavant, a tenté de lui arracher son foulard

Le 13 juillet, à Reims toujours, une femme portant un foulard a été insultée.

Le parquet de Reims reconnaît qu’ « il s'agit d'agressions à caractère raciste »

Abdallah Zekri, le président de l’Observatoire national contre l’islamophobie, précise que « d’autres villes connaissent la même recrudescence» islamophobe.

Comment expliques-tu, comment analyses-tu ces agressions à l'encontre de musulmanes, en particulier lorsqu'elles portent un foulard ou un voile ?



Pourquoi elles ?


J.-F. Brault On notera d’abord que ces agressions visent des femmes ; ensuite, que ces citoyennes françaises de confession musulmane sont nées dans des familles pour la plupart originaires du Maghreb. Chaque agression perpétrée se caractérise par une haine profonde de l'islam et de celles et ceux qui pratiquent cette religion : « sale arabe »,  « sale bougnoule », « salle musulmane » sont les insultes les plus récurrentes exprimées lors des agressions. Enfin, on examinera la principale motivation à la source de ces violences : dévoiler. La plupart des femmes agressées sont voilées, à une écrasante majorité, et il semble que la volonté de dévoilement demeure l'une des principales finalités de ces actes islamophobes.



Lors du rassemblement du 22 juin à Argenteuil, dont l'objectif central était de demander justice face à cette série d'agressions visant des femmes musulmanes (voilées), il a notamment été dénoncé l'islamophobie et le « deux poids, deux mesures » qui semble effectif entre les citoyenNEs françaisEs musulmanEs et les citoyenNEs françaisEs non musulmanEs. Sur place, on peine à dissimuler son inquiétude, témoignant avec appréhension du sentiment général d'abandon et de solitude que les citoyenNEs françaisEs de confession musulmane éprouvent dans cette République qu'ils trouvent bien silencieuse face aux attaques et aux agressions qui visent explicitement leur communauté, la communauté musulmane, et particulièrement en son sein, les femmes voilées. A notre connaissance, jusqu'au 17 juillet, aucune déclaration publique n'avait été faite par le Président de la République, François Hollande, ni par le Ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, ni par Najat Vallaud-Belkacem, la Ministre des droits des Femmes ni par aucun autre membre du gouvernement actuel. Quasi-silence radio.


S. Duverger : Mais pas silence complet. Il n'y a pas eu de déclarations immédiates – ce qui bien sûr fait problème, d'autant que l'on connaît les positions de Manuel Valls et de François Hollande sur la question du voile – j’y reviendrai.

Mais le 20 juin, Leïla et son mari, ainsi que l'avocat de Rabia ont été reçuEs par le cabinet du ministre de l'Intérieur, en présence d'une représentante de Najat Vallaud-Belkacem. Selon Métronews, "le cabinet du ministre a rappelé la détermination des autorités à retrouver les auteurs de ces agressions extrêmement graves" et Manuel Valls a adressé une lettre à Leïla et Rabia « pour leur apporter son soutien ». Enfin, le 26 juin il a reçu lui-même les jeunes femmes agressées, ainsi qu'un collectif des habitants d’Argenteuil.

Le 24 juin, à l’issue de son déjeuner avec « les représentants des quartiers populaires », à la demande de Mohamed Mechmache, d’AC Le feu, le Président de la République a assuré dans un communiqué de  « la détermination du gouvernement à lutter contre tous les actes racistes, notamment anti-musulmans, qui constituent des atteintes insupportables à l’unité républicaine» » [3] 


Autres sources : Slate.fr  et Rue89


Par ailleurs, Le Monde du 22 juin précise que le préfet du Val d'Oise, Jean-Luc Nevache, a affirmé que "le maximum de moyens (étaient) mis en œuvre pour que l'enquête avance au plus vite". « Il faut envoyer des signaux forts à la communauté musulmane : leur dire que les actes islamophobes sont aussi inacceptables que les actes antisémites, par exemple », a-t-il ajouté [4].


Enfin, le 17 juillet, dans Le Monde, la journaliste Stéphanie Le Bars, observe « Alors que se sont multipliées, ces dernières semaines, les agressions à l'encontre de femmes voilées, le gouvernement semble vouloir prendre la mesure de ces actes ». Manuel Valls les compare aux actes antisémites et les qualifie d’"inacceptables", assurant, comme le Président de la République « quelques heures plus tôt » qu’ils « seront combattus continuellement avec la plus grande fermeté » [5].


J. F. Brault  Le préfet du Val d’Oise a semble-t-il perçu l'urgence de la situation et la gravité du contexte islamophobe. Mais le communiqué de l’Elysée est passé inaperçu et les déclarations du gouvernement datent d’hier : elles sont donc bien timides ou bien tardives. Il a fallu plus d’un mois pour que Manuel Valls, lors de la rupture du jeûne qu'il a partagée, en effet, mercredi 17 juillet 2013, à la Mosquée de Paris avec les représentants du Conseil français du culte musulman (CFCM), exprime son « respect » et son « affection » pour la communauté musulmane, et dénonce "la montée des violences à l'égard des musulmans de France"[6]. Et que penser du fait que si certaines des femmes voilées agressées ont été reçues au cabinet du ministre de l'Intérieur, elles l’ont d’abord été en catimini ? Par ailleurs, on fera remarquer que dans sa déclaration publique à la Grande Mosquée de Paris, Manuel Valls semble plus s’adresser à la communauté musulmane qu’à la République française dans son ensemble, ce qui est regrettable et symptomatique.
Face à ces agressions qui visent la communauté musulmane française et à leur insuffisante condamnation – médiatique, politique et citoyenne –, trois exigences légitimes semblent s’exprimer chez les citoyenNEs françaisEs musulmanEs : la demande de justice, la demande de sécurité et la demande de protection des libertés individuelles. 

Illustration de cette page : NPA 34

A lire aussi

  
Extrait : Nous souhaitons amener dans le NPA les débats qui traversent aujourd’hui l’ensemble du mouvement féministe.

Le premier concerne l’articulation entre les différentes oppressions sociales, racistes et de genre. En France, ce débat est fortement structuré par les questions de religion et de laïcité. Nos désaccords portent essentiellement sur la place occupée par l’islam et notre positionnement dans les luttes menées autour de la question de l’interdiction du port du foulard : en France, aujourd’hui, la place de l’islam est-elle la même que celle des religions chrétiennes ? La religion n’est-elle qu’un vecteur d’oppression ? Faut-il se battre contre l’interdiction du port du voile pour les élèves, les salariéEs des services publics ? Les luttes menées par les femmes victimes de ces discriminations peuvent-elles être des luttes émancipatrices ? Quelle place les anticapitalistes peuvent-elles / ils y jouer ? Autant de questions qui se posent régulièrement aux militantEs féministes et sur lesquelles nous avons besoin de réfléchir toutEs ensemble.


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Note du blog du NPA 34 

Ce débat, inséré dans l'ensemble en discussion "GPA [Gestation Pour Autrui], féminisme/religion/intersectionnalité et prostitution", est en train d'être mené dans le NPA sous l'égide de la CNIF (Commission Nationale d'Intervention Féministe) qui a publié un premier Bulletin Intérieur de discussion. Il débouchera, sur la base des contributions de militants, des avis des commissions locales, des AG ou des débats de l'Université d'été, de synthèses de la CNIF, sur des textes soumis aux votes du congrès national qui se tiendra en 2014.

Pour mémoire

NPA 34, NPA